Une explication commune à de nombreuses anomalies de physique des particules
For my English-speaking readers, this post consists of the French adaptation of this one that appeared earlier this week, in which I discuss several of the anomalies present in high-energy physics data.
Cette semaine s’annonce tout aussi pénible que la précédente. Je respire cependant un petit peu plus… Et du coup, voici un nouveau post, comme prévu le jeudi. Certes jeudi soir, mais c’est toujours jeudi.
Le sujet du jour concerne mon dernier article de recherche qui est sorti la semaine dernière. Avec deux collaborateurs, nous avons proposé un nouveau modèle étendant le Modèle Standard de la physique des particules. Jusque là, rien de bien folichon vu que de nouveaux modèles sont proposés quotidiennement. Cependant, la nouveauté est que notre modèle fournit une explication à un grand nombre d’anomalies présentes dans les données de physique des particules.
Ce modèle contient des leptoquarks, dont j’ai discuté l’existence dans ce blog général il y a quelques mois et dans ce blog orienté matière noire plus récemment. Les leptoquarks sont des particules hypothétiques qui ont la particularité d’interagir simultanément avec un lepton et un quark du Modèle Standard.
Dans notre modèle, nous avons décidé d’inclure trois leptoquarks. Pourquoi trois ? Et bien, dans le Modèle Standard, nous avons trois neutrinos, trois leptons chargés (électrons, muons et taus), trois quarks de type up (up, charme et top) et trois quarks de type down (down, étrange et bottom). Tout va donc par trois, et il est ainsi très tentant de garder cette structure lorsque l’on ajoute des nouvelles particules.
Mes collaborateurs et moi-même avons étudié dans quelle mesure un modèle avec trois leptoquarks pouvait nous aider à comprendre des anomalies non expliquées se trouvant actuellement dans les données. Plus particulièrement, nous avons porté attention à tout ce qui avait trait à la violation de l’universalité des saveurs leptoniques,
Ce terme un peu bizarre est assez simple à comprendre. Nous avons trois saveurs de leptons dans le Modèle Standard : les électrons, les muons et les taus. On s’attend à ce que les phénomènes physiques soient universels par rapport à ces saveurs, de sorte qu’un phénomène mettant en jeu des leptons devrait être peu dépendant du type de lepton concerné. Les données montrent cependant des signaux forts que cela n’est pas le cas, contredisant ainsi le Modèle Standard.
Voyons à présent tout cela en plus de détails. Pour ceux ou celles pressés par le temps (ou qui ont un peu peur d’une dose de physique hebdomadaire trop importante), ne pas hésiter à aller directement lire le résumé du post à la fin.
[Crédits: Image originale du CERN]
Des leptoquarks ???
Le Modèle Standard de la physique des particules est un cadre théorique redoutable pour expliquer les données de physique des hautes énergies accumulées depuis plus d’un siècle. Cependant, quelques anomalies résistent encore et toujours aux prédictions théoriques, telles Astérix. Leur trouver une explication satisfaisante est alors un exercice amusant pour les physiciens d’aujourd’hui…
Avec mes collaborateurs, nous avons considéré un grand nombre de ces anomalies et leur avons proposé une explication globale. Cette globalité est la difficulté. Bien qu’il soit facile d’expliquer ou ou deux anomalies avec un modèle de physique unique, en expliquer un grand nombre relève du défi. Dans notre travail, nous nous sommes penchés sur une grosse dizaine d’anomalies, et leur avons trouvé une explication simple à partir de trois leptoquarks.
Mais qu’est-ce qu’un leptoquark ? Dans le Modèle Standard, la matière est faite de quarks et de leptons. Nous avons six quarks (up, down, charm, strange, top et bottom) et six leptons (électron, muon, tau, neutrino électronique, neutrino muonique et neutrino tau).
Les quarks sont les constituants élémentaires de la matière nucléaire et sont sensibles à l’interaction forte. Cela leur permet de se combiner en états composites tels que le proton ou le neutron, qui se combinent eux-même entre eux pour former les noyaux atomiques. Voir aussi ce blog pour plus d’infos à ce sujet.
En revanche, les leptons sont insensibles à l’interaction forte, et ne subissent que les interactions électromagnétique (ce qui permet la formation des atomes) et faible.
[Crédits: PXHere (public domain)]
Dans le Modèle Standard, nous n’avons pas d’interaction impliquant simultanément des quarks et des leptons. Les quarks interagissent entre eux et les leptons interagissent entre eux. C’est ici que nos leptoquarks entrent en jeu. Ils s’agit de particules hypothétiques connectant simultanément quarks et leptons. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les leptoquarks sont appelés des leptoquarks. Dans leur nom, on retrouve à la fois leptons et quarks.
Une théorie physique avec trois leptoquarks
Dans notre Modèle Standard, toutes les particules sont organisées en ensembles de trois particules. L’électron, le neutrino électronique, le quark up et le quark down forment ce qu’on appelle la première génération de fermions. Le muon, le neutrino muonique, le quark charmé et le quark étrange en forment la seconde génération, et le tau, le neutrino tau, le quark top et le quark bottom en forment la troisième génération.
Du coup, pourquoi ne pas ajouter un ensemble de trois leptoquarks à la théorie (un par génération) et garder la structure organisationnelle du Modèle Standard ? Et bien c’est ce que mes collaborateurs et moi avons fait.
On peut se demander en quoi cela est-il utile ? La raison est simple : cela permet de trouver une explication à de nombreuses anomalies présentes dans les données.
[Crédits: CMS @ CERN]
L’universalité de la saveur leptonique
L’universalité de la saveur leptonique est un mécanisme apparaissant automatiquement dans le Modèle Standard. Cette saveur se réfère simplement au fait que toute observation mettant en jeu des leptons ne devrait pas dépendre du type de leptons impliqués. Cela d’explique par le fait que la seule différence entre les leptons des trois générations est leurs masses, qui sont petites devant les échelles d’énergie typiquement sondées dans les expériences. Ainsi, elles ne peuvent grosso modo donner lieu à aucun effet. C’est comme les effets de relativité associés au mouvement d’une voiture : il n’y a aucune raison de les prendre en compte.
De nombreuses mesures sont en accord avec cette ‘universalité des leptons’. Par exemple, les probabilités de désintégrations du boson Z en une paire électron-positron, muon-antimuon ou tau-antitau sont quasi identiques et valent toutes environ 3.36% (comme indiqué ici). L’universalité de la saveur leptonique est ainsi une attente du Modèle Standard.
[Crédits: CERN]
Violation de l’universalité de la saveur leptonique
BIen que l’universalité de la saveur leptonique semble être quelque chose de bien et de prévu, les données ne sont absolument pas d’accord avec ce fait. Certaines des preuves les plus flagrantes sont liées à des désintégration de mésons B. Un méson B est une particule composite faite d’un quark bottom et d’un antiquark quelconque, ou d’un quark quelconque et d’un antiquark bottom. Nos mésons B peuvent se désintégrer en un autre type de mésons (un méson D), un lepton chargé et un neutrino. Ici, un méson D est une particule composite faite d’un quark charmé et d’un antiquark up, down ou étrange, ou d’un quark up, down ou étrange et d’un antiquark charmé.
Le Modèle Standard prédit que les mésons B vont se désintégrer de façon similaire en un méson D, un neutrino et un lepton chargé, peu importe la saveur du lepton chargé. C’est l'universalité de la saveur leptonique après tout. Mais voilà, les données correspondantes font état d’une violation forte de cette universalité.
Il existe plein d’autres exemples de violation de l’universalité de la saveur leptonique, comme par exemple lors de désintégrations de mésons B en kaons et une paire lepton-antilepton. Les kaons sont d’autres particules composites, contenant cette fois un quark étrange et un antiquark up ou down, ou l’inverse. Ici, on s’attend à des similitudes entre les désintégrations dans le canal électron-positron et celles dans le canal muon-antimuon. Et bien non ! Les données nous donnent une différence de près de 15%…
La liste d’anomalies associée à une violation de l’universalité de la saveur leptonique est finalement assez longue. Même les processus les plus simples se passant au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN, à savoir la production d’une paire électron-positron et celle d’une paire muon-antimuon, semble pointer vers une violation de l’universalité de la saveur leptonique. De plus, il est impossible d’ignorer les désaccord théorie-expérience pour les moments magnétiques et les électriques des leptons.
[Crédits: CERN]
Nos sauveurs : trois familles de leptoquarks
Le but principal de notre dernier travail de recherche fut de proposer un modèle de physique simple permettant d’expliquer tous les problèmes liés à la violation de l’universalité de la saveur leptonique simultanément. Les leptoquarks font partie des meilleures pistes pour expliquer les anomalies venant de la désintégration des mésons B. Nous sommes donc partis de là.
Pourquoi un leptoquark ? Et bien parce que les prédictions pour une désintégration de méson B (un système fait de quarks et antiquarks) en leptons peuvent naturellement être modifiées par la présence de leptoquarks, ce qui nous permettra de restaurer l’accord entre théorie et données. Cependant, il est connu depuis un moment qu’un seul leptoquark ne peut pas tout expliquer.
Nous avons alors construit un modèle dans lequel nous avons ajouté un leptoquark par génération de particules du Modèle Standard. Cela nous a donné assez de marge pour obtenir une explication pour toutes les anomalies associées à la violation de l’universalité de la saveur leptonique, et tout ça sans violer aucune autre contrainte existante sur les phénomènes nouveaux.
[Credits: CERN]
Je n’ai rien lu, le résumé ça donne quoi ?
Le blog du jour concerne l’un de mes récents travaux de recherche dans lequel des collaborateurs et moi avons étudié un modèle de physique contenant des leptoquarks, c’est-à-dire des particules hypothétiques interagissant simultanément avec un quark et un lepton du Modèle Standard.
Vu que les particules du Modèle Standard sont organisées en trois ensembles (ou générations) de particules, nous avons inclus un leptoquark par génération. Nous avons ensuite trouvé que cette possibilité qui nous avait semblé naturelle nous permettait d’expliquer un très grand nombre d’anomalies visibles dans les données, ces anomalies étant toutes reliées à la violation de l’universalité de la saveur leptonique.
Dans le Modèle Standard, échanger un lepton (un électron, un muon ou un tau) par un autre est censé nous donner un nouveau processus aux propriétés similaires à celles du premier. Cependant, les données semblent assez formelles par ici : Cette prédiction n’est pas réalisée, plus particulièrement dans le cadre de désintégrations de mésons variés en leptons, les mésons étant des particules composites faites d’un quark et d’un antiquark.
Notre modèle offre suffisamment de flexibilité pour fournir une explication plausible à toutes ces anomalies, et même plus en fait. Que cela soit les problèmes pour la production de leptons au LHC ou les moments anomaux des leptons, notre modèle vient automatiquement à la rescousse.
Ainsi, nous avons expliqué un très grand nombre d’anomalies dans les données de physique des particules à l’aide d’une présence combinée de trois leptoquarks dans la théorie. Bien sûr, il ne faut pas s’arrêter là, et les futures données sont attendues avec impatience afin de vérifier ce qu’il en sera de cette proposition de modèle dans les prochains mois et années.
Et voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Je vous souhaite à l’avance un bon week-end, et espérons-le rendez-vous bientôt pour un nouvel épisode de physique des particules sur la Ruche.
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