Matière sombre composite à la croisée des chemins des collisionneurs et de la cosmologie
For my English-speaking readers, this post consists of the adaptation in French of this previous blog detailing how dark matter could arise in composite models, an important and well-motivated class of models for new phenomena in particle physics.
Après une absence un peu longue, me voici de retour avec mes blogs sur la physique des particules et la cosmologie. Aujourd’hui, je vais continuer à discuter des modèles composites, que j’avais abordés dans mon dernier blog avant ma déconnection.
Pour celles et ceux un petit peu pressés, une version courte de ce blog peut se lire en finissant cette intro et en passant ensuite directement à la section résumé en fin de post. Pour les autres, ce blog contient tout d’abord un petit récapitulatif sur les modèles composites. Ensuite, nous avons un autre récapitulatif mais cette fois sur la matière noire. Seulement après cela commence une discussion sur l’un des mes récents travaux de recherche sur la matière noire composite.
En raison des problèmes conceptuels du Modèle Standard de la physique des particules, il existe de nombreuses théories plus générales que le Modèle Standard (et qui n’ont pas tous ces problèmes). L’espoir est que l’une de ces théories pourrait être celle choisie par la nature pour le fonctionnement de l’univers. Les modèles composites consistent en une option pour cette théorie, et cette option s’avère être très intéressante.
Typiquement, un tel modèle voit son contenu en particules divisé en deux. D’une part, nous avons les particules élémentaires, telles que la plupart des particules du Modèle Standard. D’autre part, nous avons des particules dites composites qui sont faites de particules élémentaires différentes de toutes celles découvertes jusqu’à présent. Ces particules composites sont généralement assez lourdes (avec quelques exceptions), et elles sont traquées sans relâche (les pauvres), notamment aux collisionneurs de particules très énergétiques comme le Grand Collisionneur de Hadrons du CERN.
Parmi toutes ces particules (et nous en avons un zoo complet), il n’est pas improbable que l’une d’elles puisse jouer le rôle de matière noire. Dans ce cas, la matière noire est automatiquement connectée au Modèle Standard grâce à une autre particule composite qui joue cette fois le rôle de médiateur. Cette connection implique d’intéressantes possibilités de détection via les nombreuses expériences recherchant la matière noire sur Terre ou dans l’espace (via entre autres les rayons cosmiques). C’est ce que nous discuterons dans ce blog!
[Crédits: Image originale par karlfrey (Pixabay)]
Quelques mots sur les modèles composites
Comme expliqué ci-dessus, le contenu en particules d’un modèle composite est divisé en deux.
- Nous avons d’une part les particules du Modèle Standard à l’exception du boson de Higgs. C’est ce que nous appelons le secteur élémentaire de la théorie, les particules s’y trouvant n’étant pas composite (comme justifié par les données).
- Ensuite, la théorie inclut un second secteur contenant des particules composées de nouvelles particules lourdes fondamentales. Cette formation d’objets composites est garantie par une nouvelle interaction fondamentale, et mène à ce que nous appelons le secteur composite de la théorie.
La dynamique du secteur composite implique l’existence de quelques états composites légers. L’un de ces derniers doit être identifié au boson de Higgs dont les propriétés commencent à être plutôt bien mesurées. Cela restreint fortement les possibilités en terme de modèles composites, mais cette classe de modèles n’est pas exclue pour autant.
De plus, d’autres de ces particules composites parviennent à donner du sens à la masse du quark top, la plus lourde de toutes les particules élémentaires connues. Certaines peuvent ensuite prétendre être de la matière noire, la substance la plus recherchée de l’univers.
L’étude discutée aujourd’hui se concentre sur la matière noire composite et la particule composite qui pourrait expliquer la haute masse du quark top. Naturellement, ces deux particules interagissent et fournissent par la une connection entre la matière noire et le Modèle Standard. Mais est-ce que cette interaction peut se faire sans violer aucune observation faite jusqu’à ce jour ? C’est la question qui a été posée (et répondue) dans l’article scientifique qui nous concerne.
Mais avant, concentrons-nous 5 minutes sur la matière noire et les façons de la rechercher.
[Crédits: ThomasWolter (Pixabay)]
La matière noire, son origine et ses implications
Nous avons de nombreuses preuves que la matière noire existe, et ses propriétés attendues font qu’on espère pouvoir la détecter soit ici sur Terre soit la haut dans le ciel.
L’hypothèse de la matière noire n’est pas neuve. Elle date de Zwicky et ensuite Rubin pour expliquer le mystère des courbes de rotation des galaxies. En deux mots, il fut observé que les étoiles tournaient trop vite autour des centres galactiques par rapport aux prédictions de la gravitation. La solution vient de la présence de matière invisible non prise en compte dans les calculs. En ajoutant cette ‘matière noire’, on arrive à revenir à un accord théorie-expérience.
[Crédits: NASA (CC BY 2.0)]
Dans les années 1960 fut découvert le fonds diffus cosmologique, c’est-à-dire un rayonnement fossile présent dans tout l’univers. Ce rayonnement a une température de 2.73 degrés Kelvin (ou -270 degrés Celsius ou -455 degrés Farenheit). Cependant, cette température se trouve varier de quelques fractions de pourmille selon là où l’on se trouve dans l’univers.
La carte de ces variations fournit une empreinte de l’univers tel qu’il fut 380,000 ans après le Big Bang. Ce moment est le moment précis où les premiers atomes électriquement neutres furent formés, rendant l’univers transparent pour l’électromagnétisme. Les résultats sont clairs : il nous faut de la matière noire.
Finalement, juste histoire de balancer quelques preuves supplémentaires, les simulations visant à expliquer la formation des grandes structures de l’univers au vu des observations demandent de la matière noire. De même, les effets de lentilles gravitationnelles nous montrent que nous devons avoir de la matière noire un peu partout dans l’univers. Et ainsi de suite.
Autrement dit, la matière noire doit exister. Mais nous n’avons pas la moindre idée de ce qu’elle est pratiquement. Supposons que la matière noire existe en tant que particule et que cette particule interagit avec le Modèle Standard. À partir de cette hypothèse, nous pouvons démontrer l’existence de nombreuses options pour traquer la matière noire.
[Crédits: @lemouth]
Ces options sont résumées dans le graphique ci-dessus. Pour la suite, nous pouvons ignorer les détails de la réaction qui a lieu dans le blob au milieu de la figure. Ce qui compte sont les particules externes.
De droite à gauche, ce graphique illustre un processus dans lequel deux particules du Modèle Standard réagissent pour produire deux particules de matière noire. Cela correspond simplement à ce qui se passe en collisionneur de particules. Dans ces derniers, on collisionne deux particules du Modèle Standard (par exemple les constituants du proton au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN). Si la matière noire est connectée au Modèle Standard (ce qui est notre hypothèse de départ), alors on a une chance de la produire.
Nous pouvons regarder à présent la figure ci-dessus de gauche à droite. Là, deux particules de matière noire s’annihilent pour donner deux particules du Modèle Standard. Ce processus pourrait avoir dans des régions de l’univers denses en matière noire, et donner lieu à de nouvelles sources de rayons cosmiques ou de rayons gamma à analyser après leur détection par nos satellites. C’est ce qu’on appelle la détection indirecte de matière noire.
Finalement, notre diagramme peut se regarder du haut vers le bas. Cela donne une réaction où une particule de matière noire diffuse sur une particule du Modèle Standard. Ce mécanisme est à la base de toutes les expériences de détection directe de matière noire sur Terre. De façon pratique, nous avons un gros détecteur et on attend patiemment qu’une particule de matière noire le traverse et touche l’un des constituants du détecteur. Grâce à l’électronique surveillant la situation, on peut observer le recul généré par le choc et inférer la présence de matière noire.
À la recherche de matière noire composite
Les trois options ci-dessus (collisionneurs, détection directe et détection indirecte) nous fournissent trois façons potentielles pour observer de la matière noire. Dans le travail de recherche discuté aujourd’hui, nous avons appliqué cela aux scénarios de matière noire composite.
Dans notre modèle, nous avons une particule de matière noire (appelée S) et un médiateur (appelé T), dont le rôle est aussi d’expliquer la valeur importante de la masse du quark top. Nous pouvons donc faire varier les deux masses des nouvelles particules (mS et mT), qui sont deux paramètres libres dans la théorie.
Le modèle prédit ensuite une interaction entre les deux nouvelles particules et le quark top du Modèle Standard. La force de cette connection consiste en une liberté supplémentaire dans le modèle. De plus, la théorie nous prédit également un couplage entre deux quarks top et deux particules de matière noire. Nous avons donc en tout deux couplages que nous pouvons faire varier. Le modèle inclut ainsi quatre paramètre au total (deux masses et deux couplages).
Mais en fait, nous n’avons que trois paramètres vraiment libres. En effet, la quantité de matière noire dans l’univers est connue, de sorte que lorsque trois paramètres sont fixés, le quatrième est automatiquement dérivé de cette contrainte.
Nous avons décidé de choisir librement les masses des deux nouvelles particules, ainsi que le couplage entre deux quarks top et deux particules de matière noire. Le couplage entre une particule de matière noire, un médiateur et un quark top est par conséquent entièrement fixé une fois que nous imposons la bonne quantité de matière noire dans l’univers.
À présent, répondons à notre question de départ : est-ce que ce modèle est viable une fois que l’on impose les contraintes venant des résultats (pas de découverte) des expériences de détection directe, détection indirecte et des collisionneurs. La réponse est oui : le modèle est viable, même si contraint de façon assez sévère. Cela est illustré dans la figure ci-dessous.
[Crédits: JHEP 07 (2021) 026]
Sur l’axe x de cette figure, nous avons la masse de la matière noire (en GeV, avec 1 GeV étant égal à la masse du proton). Sur l’axe y nous avons le facteur de compression entre la matière noire et la particule T composite (en gros la différence entre leurs masses). Pour chaque combinaison de masse, nous avons scanné les valeurs possibles du couplage entre deux quarks top et deux particules de matière noire, et fixé le dernier paramètre pour obtenir la bonne quantité de matière noire dans l’univers.
Dans la partie grise de la figure, on arrive pas à obtenir la bonne quantité de matière noire dans l’univers. Ailleurs dans la figure, on minimise l’interaction entre la matière noire et le quark top. La région en bleu est celle exclue par les données du Grand Collisionneur de Hadrons du CERN, dans lesquelles il n’y a ni trace de matière noire ni trace de médiateur T. En vert, nous avons l’exclusion venant des recherches directes de matière noire et en jaune celle venant des études des rayons cosmiques et gamma. Les zones blanches sont celles permises par les données.
Cette figure souligne une intéressante complémentarité entre les recherches aux collisionneurs et en cosmologie. Elle nous démontre que l’idée de matière noire composite est viable, pour autant que la matière noire soit faite d’une particule lourde. Cela va rendre la tâche des expériences futures compliquées (car quelque chose de lourd est plus dur à produire). Les collisionneurs des particules super-énergétiques sont clairement la direction à suivre.
Résumé : le côté obscur des modèles composites
Les modèles composites consistent en une classe de théories au-delà du Modèle Standard de la physique des particules très étudiée. Ils contiennent deux secteurs de particules : les particules élémentaires du Modèle Standard sans le boson de Higgs, et des nouvelles particules composites faites de nouvelles particules élémentaires.
Parmi ces nouvelles particules composites se trouve un boson très similaire au boson de Higgs et jouant son rôle (c’est nécessaire au vu de la découverte du Higgs en 2012). Souvent, nous trouvons également à la fois une particule T expliquant pourquoi le quark top du Modèle Standard est si lourd, et une autre S pouvant être compatible avec la matière noire. Ces deux nouvelles particules interagissent alors fortement avec le quark top, connectant ainsi le Modèle Standard et la matière noire.
Ce blog est dédié à l’étude de ce modèle, dont les résultats ont été publiés dans cet article scientifique. Il a été montré que le lien entre matière noire et quark top peut être testé au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN, ainsi que dans les recherches directes de matière noire sur Terre et dans les mesures des propriétés des rayons cosmiques et gamma. Les collisionneurs et la cosmologie permettent des tests complémentaires du modèle.
Vu que toutes les expériences ci-dessus n’ont observé aucun signal, les modèles de matière noire se trouvent être assez contraints. Dans notre cas, le modèle n’est pas exclu pour autant que la matière noire soit lourde. Aucune contrainte particulière n’est imposée sur la masse du partenaire composite du quark top T (à part qu’il doit être plus lourd que la matière noire). Ceci est illustré par la dernière figure de ce blog.
Cette figure montre aussi que pour en apprendre plus sur le modèle, il nous faudra un nouveau collisionneur plus puissant. Un tel projet se trouve dans nos valises, heureusement! Pour le moment, avec mes collaborateurs nous prévoyons d’effectuer une étude prospective qui nous permettrait de déterminer l’impact d’un potentiel collisionneur futur sur le modèle. Mais faute de temps (et d’étudiants motivés), ceci est pour le moment en pause… À voir quoi !
Je m’arrête là pour aujourd’hui et vous souhaite à tous un très bon week-end. À jeudi pour de nouvelles aventures pleine de particules. Je vais essayer de retourner à mes jours de publication usuels à partir de la semaine prochaine…
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.J'avoue que ma logique bute un peu sur les assertions:
la matière noire doit exister, mais nous n’avons pas la moindre idée de ce qu’elle est pratiquement
et
la quantité de matière noire dans l’univers est connue
Mais je veux bien imaginer une balance à plateau en équilibre dont on ne voit pas (encore) ce qu'il y a sur un des deux plateaux.
Cette quantité (de matière noire) serait donc plutôt la valeur d'une propriété comme la "masse" dans l'analogie de la balance ?
Cependant estimer que l'on est capable de mesurer (quantité) quelque chose dont on ignore la nature me dépasse un peu.
Je suis vraiment béotien en la matière (noire), désolé si ma question est peu pertinente, mais j'essaie de comprendre.
Ta question est tout sauf non pertinente. Je vais essayer d'apporter des elements de reponse.
Ce que nous savons est que la matiere noire interagit gravitationellement, et qu'il en faut pour pouvoir expliquer tout un tas d'observations. La suite est totalement libre: a-t-on une particule de matiere noire ? Comment cette derniere interagit-elle avec le Modele Standard ? Le fait-elle tout simplement ? Et on peut aller plus loin : quel est le spin de cette particule ? Quelle est sa masse ?
Toutes ces questions font qu'a part les interactions gravitationelles qui sont la par defaut (la matiere noire est massive), on n'a aucune idee de ce qu'est la matiere noire.
Pour la suite, on va faire des hypotheses sur cette nature de la matiere noire et construire des experiences pour les tester (et les mesurer en cas de decouverte).
Est-ce que cela clarifie ?
C'est un peu plus clair, merci,
J'avais compris que les interactions gravitationnelles observées présentaient un défaut par rapport au modèle et avaient besoin de l'hypothèse de l'existence d'un élément présent, massif, non encore observé ni connu, la matière noire.
C'est donc une masse manquante dans l'équation qui induit cette hypothèse, si j'ai bien compris.
Pour resumer : si tu te bases uniquement sur la gravite et ce que tu vois, alors les etoiles tournent trop vite par rapport aux predictions des calculs. Tu as ensuite deux possibilites. Soit tu modifies les lois de la gravitation, soit tu ajoutes de la matiere, que tu ne vois pas. Cette deuxieme possibilite est la plus solide, meme si la premiere n'est pas exclue. On part alors la-dessus.
Ensuite, la deuxieme partie du probleme est d'essayer d'apporter une explication en physique des particules a la matiere noire. Il nous faut une particule jouant ce role, et la on est dans le gaz. Tout est permis :)
A bientot !
Tout est clair, merci,
et je dois avouer que mon esprit critique/logique est rassuré par le fait que la modification des lois de la gravitation n'est pas exclue.
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